1. Pendant plus de trois décennies des citoyens, ayant eu un lien direct ou indirect avec les diverses formes d’opposition politique ou de contestation sociale qu’a connu le Maroc, ont souffert de différentes formes de répression politique. Les souffrances et autres séquelles physiques et psychiques des centaines de survivants de la torture, de la détention arbitraire et la disparition forcée, n’ont jamais fait l’objet d’une prise en charge médicale ou psychothérapique. La couverture sociale et médicale faisant défaut, la majorité des victimes ne sont pas en mesure de supporter les charges des traitements médicaux et psychothérapeutiques trop coûteux.
2. La torture a été utilisé de façon systématique par les agents du gouvernement comme un moyen d’investigation et d’interrogatoire et comme pratique punitive tant dans les délits politiques, contre les opposants présumés et les membres de leurs familles, que dans les délits de droit commun. Au-delà des formes de torture, les circonstances même dans lesquelles s’est opéré cette forme extrême d’outrage à la dignité de la personne en ont aggravé les conséquences durables sur les victimes : enlèvements et disparitions forcées, détentions arbitraires, représailles et punitions collectives contre les conjoints, enfants et proches parents ou groupes communautaires des victimes, exécutions sommaires, décès consécutifs à la torture dans les prisons ou les locaux de la police, de la gendarmerie ou des agents et autres auxiliaires du ministère de l’intérieur, violence et autres usages abusifs et disproportionnés de la force publique y compris, en de nombreuses occasions, des armes à feu contre des manifestants ou rassemblements de rue pacifiques ou des émeutes spontanées.
3. L’impunité, de fait ou de jure, dont ont bénéficié les instigateurs et les auteurs des violations graves des droits de l’Homme, est le symptôme patent du mépris de la règle de droit. Elle rend les initiatives du Maroc à se conformer aux instruments internationaux pertinents en matière des droits de l’homme insuffisants, ce qui, par conséquence, cause le développement infernal du cycle des violations des droits de l’homme. L’impunité constitue, en dernier ressort, le facteur d’humiliation des victimes, de lésion de leur droit à la réparation, et contribue fortement à pérenniser les traumatismes et les souffrances des victimes.
4. La libéralisation de la vie politique entamée depuis le début des années1990 semble évoluer depuis 1998-1997 vers plus d’ouverture et de respect de l’exercice des droits et libertés fondamentales .Bien qu’il soit prématuré de voir dans les mutations survenues à ce jour une rupture décisive avec le régime autoritaire qui a usé , pendant plus de trente ans, de la répression politique et de la torture comme outils de pouvoir, il est permis de soutenir que le train de reformes en cours aboutira à terme à une refonte du régime juridique actuel dans le sens de plus de protection et de promotion des droits de l’homme .
5. L’idée d’une action de réhabilitation des victimes de la torture a été en principe officiellement acceptée, dès 1994, par l’ancien ministre des droits de l’homme. Ainsi, depuis août 1999, les autorités décident de satisfaire partiellement aux demandes de réparation et d’indemnisation des victimes de la disparition forcée et de détention arbitraire d’autoriser la création, en novembre 1999, du Forum Marocain pour Vérité et Justice, association des victimes de la répression politique et de défense des droits humains de l’ensemble des victimes de la torture, de mettre en place l’instance Equité et réconciliation. Toutes ces décisions ont créée un environnement qui offre une plus grande visibilité aux besoins et demandes des victimes et de meilleures conditions de travail pour prodiguer l’assistance nécessaire aux victimes, tant en terme de traitement que de conseil et d’orientation.
6. Dans ce contexte, marqué par l’absence d’une prise en charge médicale et psychique des victimes de la torture et de la détention arbitraire par les structures de l’Etat, le groupe de médecins qui ont assuré jusqu’à alors à titre militant l’accueil et le suivi des victimes de la Torture ont pris l’initiative, dans le cadre de la stratégie intégrée de réadaptation et de réhabilitation des victimes de la torture, de mettre en place un centre autonome de soins réunissant toutes les garanties de professionnalisme et de durabilité.
7. Il s’agit, en effet, de Centre d’Accueil et d’Orientation des Victimes de la Torture (CAOVT) qui devait être géré, dès le commencement de son activité, par une association médicale juridiquement et financièrement autonome mais qui n’a pas pu voir le jour à cette date. Il a fallu attendre jusqu’en mois de janvier 2005 pour que cette association puisse être créée et ce suivant une évolution dont voici les grandes lignes.
8. Lors d’un séminaire sur «la santé et les droits de l’homme » organisé en 1996 par l’Organisation Marocaine des Droits de l’Homme, auquel étaient invitées les différentes composantes nationales actives dans le domaine des droits de l’homme ainsi que des personnalités venues représenter des organisations internationales sympathisantes ( Amnesty Internationale Section Maroc, IRCT,…), fut l’occasion propice à l’issue duquel, L’IRCT s’est engagé à financer la création du Centre d’Accueil et d’Orientation des Victimes de la Torture (CAOVT).
9. En 2001, les conditions minima furent remplies pour que le CAOVT puisse voir le jour. C’est dans cette perspective que la commission médicale du Centre s’est adressée au Forum Marocain pour la Vérité et la Justice, qui fut crée en 1999, pour qu’il parraine provisoirement le Centre, et ce, en attendant que les conditions soient suffisamment réunies pour ériger définitivement le CAOVT en une structure juridiquement autonome, animée par les principes démocratiques et ceux de la déontologie médicale.
10. Cette volonté d’accomplir cet acte est tout à fait légitime, rejoint la volonté initiale des médecins promoteurs du projet, et rappelle que les étapes passées étaient explicitement provisoires et, enfin, invitent chacun à être au niveau de courage et de responsabilité qu’édicte cet instant historique. Car, à la fin de compte, Il faut être conscient de la catégorie des patients qui sont entre les mains du Centre, et qui sont des victimes de graves violations des droits de l’homme ;
11. La nature de cette catégorie de victimes nous indique des précautions à prendre non seulement pour leurs offrir un traitement dans une ambiance agréable, chose très importante certes, mais surtout à être en mesure de garantir la continuité de cette noble mission, au-delà de toute autre considération, et ce, en érigeant le CAOVT en tant qu’une structure associative juridiquement autonome.
12. Cela va de l’intérêt de Centre et, toutes les Institutions et Organisations amies ne peuvent qu’en être d’accord. Car le Centre aura la possibilité effective, c’est-à-dire l’aptitude juridique, de s’adresser directement et utilement à qui il veut, de prendre des décision dans le seul intérêt des victimes dont il s’en charge et selon une logique que ne peut être que celle des médecins qui sont là pour se sacrifier et incarner de la manière la plus éclatante l’humanisme inhérent à la médecine. Le caractère universellement médical des Centres de réhabilitation des victimes de la torture ne sied avec les considération relevant des tensions d’ordre politique ou idéologique car la vie et les aspirations de réhabilitation des victimes de la torture ne doivent, en aucun cas, souffrir des déboires d’un traitement politique ou d’un compromis qui ne mûrira que longuement.
13. Le temps nécessaire pour que ces idées gagnent et fassent autorité a été écoulé et, en début de l’an 2005, il fut jugé que les conditions sont réunies et propices et invitent les médecins créateurs du CAOVT à passer à l’acte définitif permettant à ce dernier d’être gérer par une Organisation Non Gouvernementale autonome et de vocation spécialement médicale.
14. Précisément, vers la fin de mois de février 2005, l’acte légal de création de cette organisation fut accompli officiellement et solennellement et l’organisation ainsi créée a pris la dénomination juridique : Association Médicale de Réhabilitation des Victimes de la Torture (A.M.R.V.T), dont le socle de sa mission est de dispenser une réhabilitation médicale et psychologique aux victimes de la torture d’une manière professionnelle, efficace autonome, et sans discrimination.