Plusieurs décennies après leur détention, les victimes des «années de plomb» traînent encore de lourdes séquelles physiques et psychologiques. Témoignages de médecins.
Portraits de victimes de la torture sous Hassan II lors d’une manifestation à Rabat, 12 janvier 2007. REUTERS/Rafael Marchante
Abdellah Aagaou a passé dix-huit ans à Tazmamart, le bagne secret de Hassan II, où la moitié des détenus sont morts en réclusion. Abdellah, lui, a miraculeusement survécu au froid, à la faim, au manque de lumière, d’hygiène et de soins. Mais il n’en est pas sorti indemne.
«Mort-vivant» à sa libération, en 1991, l’ex-sergent Aagaou souffre encore aujourd’hui d’une hernie hiatale et d’un ulcère contractés en détention, où il n’a jamais vu le moindre médecin. Et puis, il y a ces cauchemars persistants:
«Cinq nuits sur sept, je suis à Tazmamart, et il y a ces gendarmes qui viennent… Il y a des fois où je sursaute, parce que j’étais dans une cellule, même si dans la réalité, je ne suis pas dans une cellule.»
Militants, manifestants, militaires…
La mort du roi Hassan II, en 1999, a signé la fin des «années de plomb», cette période de répression brutale qui frappa les militants politiques et syndicaux, principalement dans les années 1960, 70 et 80. Mais ceux qui furent torturés dans des commissariats, puis détenus dans des prisons indignes, ne sont pas près de s’en remettre.
«Il y a des séquelles physiques, psychiques et sociales», indique le docteur Mustapha Benhoussa, de l’Association médicale de réhabilitation des victimes de la torture (AMRVT), basée à Casablanca.
Depuis sa création en 2001, et malgré un manque de moyens persistant, cette équipe de médecins militants a reçu plus de 2.500 personnes. Des victimes, et des proches de victimes: militants de gauche, manifestants arrêtés lors des émeutes de 1965 ou 1981, militaires impliqués dans les tentatives de putsch contre Hassan II (comme les détenus de Tazmamart), etc.
Le président de l’association, le docteur Abdelkrim El Manouzi, est le frère de Houcine El Manouzi, le plus célèbre disparu politique marocain après Mehdi Ben Barka. Militant socialiste enlevé à Tunis en 1972 par les services secrets marocains, sa famille ignore toujours ce qui est advenu de lui.
«Toute l’encyclopédie médicale»
Sur le plan physique, les médecins de l’AMRVT, pour la plupart bénévoles, ont eu à traiter «toute l’encyclopédie médicale», indique Abdelfatah Marzouk, le médecin généraliste de l’association. Des troubles somatiques, et d’autres résultant directement des violences subies.
Un mal récurrent: les rhumatismes. Des douleurs articulaires liées aux conditions de détention et «aux méthodes de torture où on suspend l’individu dans des positions anormales», note le docteur Benhoussa.
D’autres victimes souffrent de problèmes de mobilité dus à des «fractures, faites à coups de bâtons ou de crosses de fusil, qui à ce jour sont mal guéries parce que les militants n’étaient pas transportés à l’hôpital à temps —on les laissait « crever »», ajoute le docteur Marzouk.
Le docteur El Manouzi, lui, se souvient d’un ex-détenu qui a eu le dos tellement brûlé au cours d’une séance de torture que la moelle épinière a été touchée, et qu’il a fini par perdre l’usage de ses mains et de ses pieds.
Les médecins parlent aussi de troubles ophtalmologiques —pour les ex-détenus à qui l’on a trop longtemps fait porter un bandeau noir sur les yeux, de lésions dermatologiques —«à cause des conditions d’hygiène lamentables», de problèmes gastriques et de problèmes de dentition —«du fait de la malnutrition», poursuit le docteur Benhoussa.
A cette triste liste, il faut encore ajouter les affections respiratoires, l’impuissance ou la frigidité sexuelle, les hémorroïdes, les lésions neurologiques liées aux tortures à l’électricité… Et un tas d’autres calamités, dont beaucoup de pathologies chroniques nécessitant des soins continus. Sans oublier qu’avec le temps qui passe, à ces malheurs s’ajoutent les problèmes liés à l’âge.
Angoisses, cauchemars et psychoses
Toutefois, «le plus grave, ce sont les séquelles psychiques, parce qu’elles vont durer très longtemps, peut-être toute la vie», assure le docteur Benhoussa.
Cela va des angoisses, cauchemars, insomnies, dépressions —très fréquents—, jusqu’à des cas de psychose —plus rares.
Le docteur Benhoussa cite l’exemple d’une victime torturée pendant que ses geôliers regardaient un match de foot. «Des années après, elle ne peut pas aller regarder un match de foot dans un café: ça va lui déclencher une angoisse terrible.»
Le psychiatre se souvient du cas, «gravissime», d’une personne incarcérée en 1981, lors des «émeutes du pain».
«C’est un gentil garçon qui est sorti de chez lui pour voir ce qui se passait. Les policiers l’embarquent, le torturent dans le véhicule, il est condamné à huit ans de prison pour rien. Depuis sa sortie, il n’a jamais remis les pieds dans la rue. Il ne sort pas, même pas pour aller au hammam.»
Hakima Douchy, la psychologue de l’association, raconte l’histoire d’une patiente, «fille d’un ex-détenu politique», que son père punissait en lui bloquant la tête sous l’eau.
«Il répétait ce qu’il avait subi, sans même s’en rendre compte.»
Les tortionnaires à l’abri
Au-delà des corps et des esprits meurtris, les années de plomb ont aussi affecté les familles des détenus. Des épouses de militants ont plongé dans la misère quand leur mari a été incarcéré. Leurs enfants ont arrêté d’aller à l’école, se préparant ainsi un avenir de chômeur.
A leur sortie de prison, certains détenus ont rencontré les pires difficultés pour retrouver du travail. Noureddine Guabaz, détenu à la suite des émeutes de 1981, assure avoir «été mis à la porte» à quatre reprises, à chaque fois que ses employeurs découvraient son passé. Il y a eu des divorces, des drames humains en série.
Pour tenter de tourner la page, l’Etat marocain a mis en place, après l’avènement de Mohammed VI, un organe de justice transitionnelle: l’Instance Equité et Réconciliation (IER). Des victimes ont pu témoigner à la télévision, et une grande part de vérité a été dite.
Mais les tortionnaires n’ont jamais été jugés, ni même inquiétés. Numéro 1 sur une liste des responsables concoctée par l’Association marocaine des droits humains (AMDH), le général Hosni Benslimane est toujours le patron incontesté de la gendarmerie royale.
Une partie des victimes a touché une indemnisation financière, et bénéficie d’une couverture sociale, via la mutuelle des fonctionnaires d’Etat. Mais puisque la formule veut que l’on paye avant d’être remboursé, elle ne sert à rien aux plus démunies des victimes. Quant au grand centre de soins qui devait leur être dédié, il n’a jamais vu le jour.
La torture n’a pas disparu
La torture, elle, existe toujours. A côté des rescapés des années de plomb, l’AMRVT a dû accueillir des victimes de l’ère Mohammed VI: des Sahraouis indépendantistes, d’ex-prisonniers du Polisario oubliés par l’Etat marocain, des détenus de Guantanamo, quelques-uns des islamistes massivement arrêtés et torturés à la suite des attentats de Casablanca en 2003, des militants du mouvement du 20 février tabassés par la police…
Après son passage au Maroc en septembre dernier, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture, Juan Méndez, notait que la situation s’était «généralement améliorée depuis les dernières décennies». Mais il ajoutait:
«dans des cas récents, il y a des informations crédibles faisant état de coups violents infligés par coups de poings et bâtons, de l’utilisation de décharges électriques et de brûlures de cigarette».
A Casablanca, les médecins de l’AMRVT n’ont pas fini de réparer les pots cassés.
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